Assise à la terrasse d'un café, Lou-Eva regardait dans le vide sans broncher, sans percuter le monde qui l'entourait. Les traits tirés et fatigués, le teint pâle et des cernes marqués sous les yeux, elle était en piteux état. Tenant dans sa main droite sa tasse de café, elle semblait complètement perdue et ailleurs. Ce fut une voix lointaine et cristalline qui la fit revenir sur terre :
« Salut Lou, désolé pour le retard ! Mais c'était bouché, comme d'habitude. » Lou leva les yeux vers son amie, Debrah. Elle lui accorda un maigre sourire, l'excusant en silence. Elle l'a regarda à peine prendre place devant elle, déjà l'esprit ailleurs.
« Alors, comment tu vas depuis la dernière fois ? ... Lou, je te parle ! » Lou sursauta et secoua la tête, s'excusant d'un signe de la main. Elle souffla et haussa mollement les épaules avant de répondre d'une voix lasse :
« Mal, comme depuis qu'il n'est plus là. » Son amie se mordilla la lèvre inférieure, ne sachant comment l'aider. Elle commanda un café au serveur qui passait entre les tables et lorsqu'il fut éloigné, elle reprit :
« Et le travail, ça se passe bien ? » Lou posa son regard sur sa tasse de café remplie et souffla :
« Je suis la boniche d'un enfoiré de P-DG qui passe son temps à me faire aller lui chercher des cafés à lui et à tout le service, ainsi que tout un tas de paperasse ennuyante et éreintante. Sans parler des heures supplémentaires impayées. » Un long silence s'installa entre les deux femmes, Debrah se sentant de plus en plus mal. Comme à chaque fois qu'elles se voyaient. Après quelques gorgées, elle proposa :
« Tu veux que je te prenne les gosses ce weekend ? Tu pourras souffler un peu comme ça. » Lou-Eva secoua aussitôt la tête de gauche à droite et répondit de façon ferme et catégorique :
« Non ! Ils restent avec moi. » Debrah n'insista pas, terminant rapidement son café avant de demander :
« Et ton appartement, ça s'arrange ? » La blondinette secoua la tête à nouveau, plus lentement cette fois. Elle soupira :
« J'ai pas de quoi payer le plombier alors non. Et je passe mon temps à me plaindre au concierge pour qu'il arrête de laisser entrer n'importe qui dans le hall de l'immeuble. J'en ai marre d'avoir peur à chaque fois que je rentre chez moi avec les enfants. » Debrah hocha la tête, compatissante. Serviable elle ajouta :
« Je demanderais à Joey de venir jeter un coup d'oeil pour ta plomberie si tu veux. C'est pas un expert, mais si ce n'est pas trop compliqué il pourrait te dépanner pendant un temps. Lou, ton café va être froid. » L'intéressée se leva alors, remettant son sac sur son épaule et déclara :
« Je n'ai pas soif finalement. Merci pour Joey, c'est sympa. J'dois y aller, Sarah est chez une copine c'est l'heure de la récupérer. » Debrah se leva alors et paya leurs commandes, généreuse.
« Elle n'est pas censée être à la danse le samedi après-midi ? » Lou-Eva ravala une montée de larme et d'une voix fébrile et sèche tout à la fois rétorqua :
« Je n'ai pas les moyens de continuer à lui payer sa danse. Elle a dû arrêter. On s'appelle, d'accord ? Rentre bien. » Debrah la regarda s'éloigner, désemparée par l'état de son amie. Elle aurait voulu savoir si la police avait avancée dans ses recherches pour Scott, mais elle n'osait même plus prononcer son nom. Car à chaque fois, Lou-Eva terminait dans un état lamentable tant elle était effondrée.
Il était 20h déjà lorsque Lou rentra chez elle, les bras chargés de courses et une journée épuisante dans les jambes. Elle referma la porte avec son pied et s'écria :
« Staaan ? Viens m'aider à décharger les courses s'il te plais ! » Une fois grave s'éleva alors du salon :
« J'regarde le match. » Lou ouvrit la bouche mais rien n'en sortit tant elle était stupéfaite. Elle soupira et passa sa main sur son front, épuisée. Finalement, venant de lui, ça n'avait rien d'étonnant. Elle ne savait même pas pourquoi elle acceptait qu'il vienne se vautrer sur son canapé et qu'il foute un bordel pas possible dans ce misérable appartement qu'elle s'efforçait de garder un minimum correct pour les enfants. Elle se laissa tomber sur sa chaise, avec la terrible envie de se mettre à pleurer et à crier comme une petite enfant. Mais elle resta parfaitement silencieuse, jusqu'à ce qu'une petite main vienne tenter d'attraper la sienne, la faisant se redresser.
« Je vais t'aider maman. Ça va ? » Prenant sa petite fille dans ses bras, Lou vint déposer un baiser sur son front et glissa ses doigts dans ses cheveux dans un geste tendre. Elle s'efforça de lui sourire et de faire bonne figure, déclarant alors :
« Non ma puce, c'est gentil, je vais me débrouiller ne t'en fais pas. Retourne jouer dans ta chambre je vais préparer le dîner. » L'enfant regarda sa mère avec de grands yeux inquiets, faisant preuve d'une grande empathie. Elle ajouta :
« Tu veux que je donne le bain à Adam en attendant ? » Comme si elle avait oublié ce détail, Lou-Eva soupira, ayant comme l'impression que ça ne finirait jamais. Ce fut pleine de culpabilité qu'elle finit par répondre :
« Je... si ça ne te dérange pas, j'aimerais bien ma puce. Sinon je le ferais après, ce n'est pas grave. » L'enfant lui offrit un grand sourire réconfortant et s'éclipsa de la cuisine pour aller s'occuper de son petit-frère. Quant à Stan, il restait sur son canapé à proliférer un tas d'insultes à la télévision et à ces "incapables" de joueurs. Qu'est-ce qu'elle foutait avec lui ? Elle-même ne comprenait pas... Certainement le besoin d'une présence masculine. Un besoin stupide de toute évidence.
Après le dîner, Stan retourna devant la télévision, laissant Lou tout débarrasser et tout ranger tandis que les enfants se brossaient les dents en riant. Lorsqu'elle vint les border et leur dire bonne nuit, Sarah demanda :
« Maman, il va vivre ici tout le temps Stan ? » Interloquée par sa question, Lou bredouilla :
« Non, enfin je.. je n'en sais rien Sarah. Pourquoi ? » L'enfant échangea un regard avec son petit frère, et ce fut d'une voix discrète mais ferme qu'elle rétorqua :
« Je n'l'aime pas et Adam non plus. C'est quand que papa rentre ? » Bouleversée, Lou-Eva baissa la tête et déglutit. Les enfants n'arrêtaient pas de poser cette question. Et la réponse était toujours la même :
« Je n'sais pas. » Après un sourire forcé, elle les embrassa et souffla :
« Bonne nuit, dormez bien. » Elle retourna dans le salon, regardant un long moment Stan. Sans rien dire. Les enfants ne l'aimaient pas, elle non plus. Il fallait que cela cesse. Vingt minutes plus tard, elle mit fin à leur 5 mois de relation et lui intima de ne plus jamais la recontacter. La traitant de "sale chieuse" une énième fois, il disparu dans un grand fracas, marmonnant un tas de propos féroces à son égard, mécontent d'être dérangé devant sa précieuse télévision. Elle n'avait pas besoin d'un homme dans sa vie. Elle avait besoin de Scott. C'était complètement différent.