Comme à l'accoutumée, Jericho n'avait dépensé que quelques heures de sa nuit à dormir. Il n'était donc pas étonnant de le retrouver déjà douché et prêt à effectuer un premier tour de vérification dans le cimetière en cette heure si matinale. Il faisait cette ronde tous les matins, on n'était jamais à l'abri de petits vandalismes nocturnes de la part des quelques gamins turbulents de Santa Rosa. Il chaussa ses bottes, saisit une lampe torche car le jour pointait à peine le bout de son nez et s'engagea calmement dans les allées boueuses de ce lieu sacré. Il prit son temps, comme tous les matins, serein et dans son élément. Quarante-cinq minutes plus tard, satisfait de trouver les lieux immaculés, il reprit le chemin de sa demeure et, une fois le pas de sa porte franchi, se débarrassa de ses couches de vêtements superflues et mit de l'eau à bouillir. L'un des rares petits plaisirs innocents de sa vie était le thé, et il l'appréciait d'autant plus devant un lever de soleil.

Mais cette initiative fut interrompue par des grattements insistants contre la porte d'entrée. Un peu de mauvais poil à cause de cette interruption, les muscles de sa mâchoire se contractèrent en un grognement contrarié. Quelle pouvait bien être la cause de ce raffut ? Il lui fallut quelques minutes pour comprendre. Il se détendit alors, et soupira. Le coyote. Cela faisait un bon bout de temps qu'il n'avait pas pointé le bout de sa truffe dans les parages, et il était encore plus rare de le croiser d'aussi bonne heure, l'animal préférant déambuler aux alentours du crépuscule. Il ne s'attendait plus vraiment à sa visite, mais fut heureux de constater qu'il était toujours en vie... Qui sait ce qui aurait pu lui arriver depuis la dernière fois ? Il ouvrit la porte du réfrigérateur, à la recherche de restes de précédents repas à donner à son ami poilu, trouva une demi côte à l'os et quelques saucisses plus très fraîches puis se dirigea vers l'entrée. Les grattements avaient cessé, et lorsque la porte fut ouverte, Jericho trouva le coyote assis docilement, le regard tourné vers lui.

Il posa l'assiette à ses pieds et l'animal ne se fit pas prier. Pendant ce temps, le fossoyeur l'examina rapidement du regard, à la recherche de blessures quelconques ou traces de ses déboires passés durant son absence. Un peu rassuré de ne trouver que de vieilles cicatrices non infectées, il s'assit sur le porche aux côtés du canidé et le gratta entre les deux oreilles gaiment. Jusqu'à présent, il avait toujours considéré que la venue de son compagnon à quatre pattes présageait de bonnes choses, ou du moins que la journée suivant son apparition serait agréable. C'était, certes, une croyance absurde et infondée, mais il aimait cette idée de pouvoir associer ce charognard à la réputation si peu glorieuse à quelque chose de positif. Ils étaient un peu semblables, tous les deux, après tout... Il finit par se relever une fois l'assiette vidée, un instant de flottement où les deux protagonistes se fixèrent subsista quelques instants puis l'animal se retourna et s'éloigna de la demeure. Jericho sourit, il était très rare que le coyote entre dans la maison, bien que le jeune homme n'ait jamais protesté lorsqu'il le faisait. Ne sachant combien de temps il resterait sans nouvelles, il attendit de le voir disparaître de son champ de vision avant de rentrer et refermer la porte derrière lui, souhaitant le revoir en forme la prochaine fois.

Il ne crut pas si bien faire qu'à peine une paire d'heures plus tard, les grattements se manifestèrent de nouveau. Intrigué et inquiet de le voir revenir si rapidement, Jerry se dépêcha d'aller vérifier que rien de grave n'était arrivé. Il ouvrit la porte et cette fois l'animal s'engouffra dans la demeure bordant le cimetière sans demander son reste. Il ne semblait pas plus blessé que plus tôt dans la matinée, il n'y avait de sang nulle part. Haussant les épaules, il referma la porte sans jeter un regard vers l'extérieur. Peut-être y avait-il une explication logique à tout cela, ou peut-être pas. Il n'avait pas fait quatre pas que quelqu'un signala sa présence de trois coups énergiques sur le porche boisé. Cette matinée était des plus étrange, décidément ! Il n'avait pas l'habitude de recevoir des visiteurs, et encore moins à cette heure. Il alla donc ouvrir pour la énième fois de la journée sa porte, et découvrit un homme, fusil sur le bras, un air mi-contrarié mi-décidé collé au visage. Il le reconnut comme étant Scott Shelton, ou Le Cow-Boy, propriétaire d'un ranch en bordure de la ville et bon samaritain attitré des ménagères de Santa Rosa. Ils ne s'étaient jamais adressé la parole, que pouvait-il lui vouloir ? Ses yeux se posèrent à nouveau sur le fusil et il crut comprendre. Une désagréable sensation de malaise l'envahit. Le coyote. Scott avait dû le traquer et l'animal, se sentant suivi, était venu se réfugier chez Jericho. Le Cow-Boy devait lui être vraiment hostile pour qu'il agisse de la sorte ! Il inspira, essayant d'évacuer les sentiments négatifs qu'il sentait monter en lui et de décontracter sa mâchoire avant d'articuler, d'une manière qu'il n'espérait pas trop brute, quelques mots.

▬ Bonjour, Mr Shelton. Que puis-je faire pour vous ?

Scott n'avait pas eu l'air trop offensé par le ton employé par Jericho, c'était une bonne chose.

▬ Bonjour. Excusez-moi de vous déranger à cette heure si matinale, il se trouve simplement que j'ai cru voir se réfugier chez vous un coyote qui en veut à mes poules. Il est à vous ? J'envisageais de mettre un terme définitif à ses tentatives d'infiltration dans le poulailler, mais je ne voudrais pas... Enfin, je ne voudrais pas abattre l'animal de quelqu'un, vous comprenez.

Jericho déglutit, voilà qui jetait un froid considérable entre les deux hommes. Comment faire comprendre au Cow-Boy que non, cet animal ne lui appartenait pas, mais que oui, il risquait d'y avoir des problèmes s'il l'abattait ? Il devina le coyote juste derrière lui au moment où son interlocuteur glissa un regard par dessus son épaule, et eut ce geste protecteur de réduire l'ouverture de la porte, comme si cela ferait une quelconque différence. La situation était des plus délicates et voir Scott s'afficher ainsi en trimballant un fusil sous le nez du fossoyeur le rendit nerveux et mal à l'aise. S'il s'écoutait, il lui claquerait bien la porte au nez sans plus de cérémonie ! Non... S'il s'écoutait vraiment, il s'assurerait que l'homme ne puisse plus jamais menacer son compagnon à quatre pattes, et il savait exactement de quelle manière il procéderait... Il secoua violemment la tête pour chasser cette idée de son esprit. Il ne pouvait se permettre de prendre un tel risque, Shelton était connu et apprécié de tous à Santa Rosa. Jericho prit quelques secondes de plus pour tourner sa phrase avant de répliquer.

▬ Je vois. Je comprends le problème qui vous taraude et je dois avouer que je ne sais que dire. En effet, le coyote est ici, mais il ne m'appartient pas à proprement parler. À dire vrai, je n'ai fait que m'occuper de lui il y a quelques temps à un moment de sa jeune vie où il était très mal en point puis je lui ai rendu la liberté. Ces animaux-là ne sont pas faits pour vivre enfermés vous savez... Depuis, il lui arrive de revenir me rendre visite, j'ignore pourquoi il s'est attaché à moi de la sorte, mais je ne peux nier ressentir de l'affection pour lui également.

Il laissa le silence planer après une telle tirade. Ils semblaient être dans une impasse, mais il se voyait mal attacher un animal sauvage au bout d'une chaîne juste pour faire plaisir au Cow-Boy, tout comme l'idée de le savoir mort lui donnait la chair de poule. Peut-être son interlocuteur se montrerait-il un peu plus compréhensif, maintenant qu'il connaissait toute l'histoire ? Il l'espérait sincèrement.

Derrière lui, un bruit de pot cassé retentit. Le canidé venait certainement de faire tomber un récipient dans la cuisine, dans sa recherche de nourriture. Mais Jericho ne broncha même pas, que pouvait-on attendre d'autre d'un animal libre de toute éducation laissé seul sans surveillance dans une habitation ? Il pourrait toujours nettoyer les dégâts plus tard, une fois que Scott et lui trouveraient un accord.

Jericho remarqua à quel point son amitié saugrenue avec le coyote surprit Scott, bien qu'il ne comprît pas pourquoi. Plein de monde débordait d'amour pour les animaux, en quoi était-ce bizarre que l'animal en question soit un charognard sauvage hostile à l'homme ? Non, vraiment, c'était une des nombreuses choses qu'il n'était pas en mesure de comprendre. De plus, le Cow-Boy semblait vraiment contrarié de savoir l'animal dans la maison du fossoyeur et le pot cassé n'apaisa pas la tension qui s'était établie durant cette courte conversation. Malgré cela, Jericho pouvait voir que Shelton faisait des efforts, c'est pourquoi il ne fit aucune remarque. Tous deux réfléchissaient à une issue possible pour cette impasse dans laquelle ils semblaient engagés, et ce fut Scott qui reprit la parole.

▬ Vous le nourrissez régulièrement ?

Jericho le considéra quelques instants. Cette interrogation l'avait un peu surpris. Il ne savait pas vraiment où son interlocuteur voulait en venir, mais après tout cette question n'avait pas l'air d'être un piège. Cela ne suffit malheureusement pas à détendre l'atmosphère, mais après tout rien n'indiquait que telle avait été l'intension de Scott quand il l'avait prononcée.

▬ Je le nourris à chaque fois qu'il vient, mais ses visites ne sont pas régulières, comme vous vous en doutez, puisqu'il est libre. A-t-il... Est-ce que vous avez déjà subi beaucoup de pertes parmi vos poules ?

Avec un peu de chance, les dégâts ne seraient pas trop exubérants, parce que jericho avait une petite idée derrière la tête, qu'il s'empressa de soumettre au Cow-Boy...

▬ Je pourrais certainement vous dédommager pour vos pertes... Et celles à venir s'il devait y en avoir d'autres.

Le coyote derrière lui semblait s'être calmé, Jericho ne doutait pas de le retrouver avachi sur son lit ou son divan lorsqu'il en aurait fini avec Shelton. Il attendit de voir comment Scott réagirait à cette annonce. Certes, Jerry n'était pas quelqu'un qu'on pouvait qualifier de riche, mais il était certain de pouvoir payer une poignée de poules quand l'occasion le requérait. Après tout, c'était un peu de sa faute si ce coyote traînait dans les parages... Il devait le reconnaître.

La proposition de Jericho ne sembla pas satisfaire Scott, à la grande surprise du fossoyeur. Il fronça les sourcils, mais qu'est-ce qu'il voulait, à la fin ? Pourquoi venir se plaindre si il n'acceptait aucun compromis ?

▬ C'est à dire que... Techniquement... Je n'ai pas vraiment perdu de poules. Disons plutôt que... que... j'ai eu la chance d'avoir été présent chaque fois que l'animal lorgnait d'un peu trop près. Mais je ne veux pas de votre argent ! Je veux dire, c'est très généreux de votre part, mais je ne peux me résigner à venir vous déranger chaque fois qu'un nuage de plumes m'informera qu'un coyote se paye une bavette au fond du jardin... Eh puis, on n'est pas sûrs qu'il n'y ait que celui-ci dans le coin...

Même si Jericho eut un instant l'impression que Scott lui en voulait vraiment, considérant la vitesse avec laquelle il avait affirmé ne pas vouloir de son argent pour le dédommager, alors que cette proposition partait d'une bonne intension. Mais quand le Cow-Boy s'était rattrapé, Jerry comprit que cela n'avait pas été son intension première. Il se détendit un peu avant de réfléchir à ce qu'il pourrait bien répondre.

▬ Oh mais je vous assure que cela ne me dérange pas ! Enfin... Je ne pense pas que vous risquiez beaucoup avec lui. Et puis vous ne me dérangerez pas spécialement, vous savez, le coin est plutôt calme... & silencieux comme la mort.

Voyant que sa blague n'était pas au goût de son interlocuteur, Jericho effaça le léger sourire qu'il affichait et reprit son sérieux. Il repensa à la dernière remarque de son vis-à-vis, cependant, et dut admettre qu'il avait touché un point. Il resta quelques minutes de plus silencieux, essayant de se souvenir s'il avait déjà vu un autre coyote pointer le bout de son nez à Santa Rosa. Il savait que ces animaux étaient rarement solitaires et privilégiaient d'ordinaire la chasse en couple, mais rien ne lui vint, il avait toujours vu son ami poilu déambuler seul dans la poussière.

▬ Je... Je ne crois pas en avoir vu un autre traîner dans les alentours depuis le temps que je vis ici mais... Je peux me tromper, évidemment.

Et voilà que les deux hommes retombaient dans une impasse. Scott refusait l'alternative pécuniaire, et Jericho ne laisserait jamais le charognard mourir sous les coups de son fusil. Bien sûr, si l'animal se faisait tirer dessus par un fermier de la région Jericho ne pourrait rien y faire, mais à présent que le Cow-Boy connaissait la situation, si jamais il osait tirer sur son ami, Jerry ne le laisserait pas s'en tirer comme ça. Mais bon, Shelton n'avait pas mauvaise réputation, et le fossoyeur doutait qu'il puisse encore vouloir le tuer de sang-froid maintenant.

Les deux hommes se fixaient en silence quand Scott reprit la parole. Et ce qu'il dit soulagea Jericho, l'issue de cette confrontation était peut-être plus proche qu'il ne l'avait songé, finalement.

▬ Il serait peut-être plus simple pour tout le monde que j'installe une clôture plus haute et plus solide autour du poulailler...

Il avait dit ça en baissant les yeux au sol, fatigué, tandis que Jericho afficha un sourire ravi : c'était une excellente idée que le Cow-Boy venait d'avoir, là ! Puis le fossoyeur pensa que ces rénovations ne seraient certainement pas gratuites ni faciles à entreprendre, et en vue de la part de responsabilité qu'il avait dans cette décision il proposa son aide à Shelton, tout simplement parce que cela lui semblait être la chose la plus juste à faire.

▬ Je suis désolé que vous aillez à en arriver là... Voulez-vous... Enfin, accepteriez-vous que je participe aux travaux ? J'ai, après tout, joué un rôle important dans cette décision, c'est la moindre des choses pour moi que de pouvoir vous aider.

Cette proposition pouvait aussi bien évoquer une participation budgétaire que l'éventualité qu'il se rende lui-même au ranch de son interlocuteur pour lui fournir de la main d’œuvre. Il préférait son vis à vis décider de ce qui l'arrangerait le plus mais cette fois une chose était certaine, il n'accepterait aucun refus. Il espérait que Scott comprendrait. Ce dernier reprit d'ailleurs la parole.

▬ Excusez du dérangement, je tâcherai de m'y atteler au plus vite. Mais en attendant, si vous avez la possibilité de garder un œil sur ce coyote, je vous en serai reconnaissant. Je ne pense pas avoir le temps de régler le problème avant une paire de jours.

Le Cow-Boy joignit le geste à la parole et déchargea son fusil sous les yeux de Jericho. Ce dernier le regarda faire en silence avant de décider de se montrer enfin poli et accueillant comme tout homme normal.

▬ Je peux toujours essayer de le garder avec moi quelques temps, si vous voulez, oui. Mais, pardonnez moi ce n'est pas très convenable de ma part de vous laisser dehors depuis tout ce temps... Voulez-vous entrer boire quelque chose ?

Il était conscient que cette invitation avait très peu de chances d'aboutir, encore plus avec le coyote traînant entre ses murs, mais il se devait de le faire, juste pour faire bonne figure au possible. Qui sait ?

Jericho ne put s'empêcher d'être légèrement surpris quand Scott accepta d'entrer chez lui. Il était si rare que le sol de la bâtisse soit foulé par quelqu'un d'autre qu'un Griffin ! Mais cela ne pouvait durer indéfiniment, et Jerry n'était pas contre un peu de nouveauté. Il espérait avant tout que sa demeure serait assez présentable en l'état actuel, histoire que ce début de bonne entente avec le Cow-Boy, qu'ils avaient mis tant de mal à instaurer, ne volerait pas en éclat dès que ce dernier poserait le pied sur le plancher familial.

▬ Je veux bien un café si vous avez, oui, merci.

Jericho prit en charge la veste de son invité, tandis qu'il le laissait poser son arme contre le mur du vestibule de lui-même, et l'invita à entrer dans le salon après avoir jeté un coup d’œil dans la pièce pour vérifier que le coyote ne s'y trouvait pas. Il ne s'agissait pas non plus d'avoir l'air provocateur en confrontant l'animal à Shelton directement ! Puis il se dirigea vers la cuisine et resta planté quelques secondes devant la machine à café flambant neuf qui trônait sur le plan de travail. Jericho ne buvait pas de café, il n'avait jamais ressenti le besoin de racheter un tel appareil lorsque la vieille cafetière rendit l'âme quelques années auparavant. C'est Nolan, en rentrant, qui acheta celle-ci, un bijou de technologie dernier cri au fonctionnement assez compliqué. Heureusement pour lui, le fossoyeur avait eu l'occasion d'observer son frère l'utiliser, ainsi il se remémora comment en obtenir le liquide noir. Il se prépara également une tasse de thé et revint vers le salon pour déposer les deux récipients sur la table basse.

▬ Vous désirez du sucre ou quelque chose ?

Il avait posé la question en souriant puis repartit une fois encore vers la cuisine pour prendre le sucre, le lait et un paquet de biscuits qu'il cachait pour éviter que Nolan ne les dévore tous d'un coup. Il posa le tout près des tasses et put enfin s'assoir à son tour. Ce fut Scott qui, une fois de plus, brisa le silence en évoquant la proposition de Jericho par rapport aux travaux de rénovation du ranch.

▬ J’accepterai volontiers votre aide pour planter les piquets de la clôture.

Le fossoyeur fut très heureux d'apprendre la nouvelle, il aurait finalement l'occasion de se rendre utile !

▬ Vraiment ? C'est super ! Je veux dire... Je le ferai avec plaisir. Je crois même avoir quelques piquets dans la remise, si jamais ils correspondent à vos attentes autant que vous en profitiez !

Et une conversation animée démarra ainsi sur le sujet de la clôture.